LOMBRES de China Miéville

Publié en 2009 aux éditions Au Diables Vauvert, ce roman signé China Miéville a tout de suite attiré mon regard, tout d'abord parce qu'il avait une magnifique couverture (réalisée à partir des croquis de China lui-même !), mais aussi parce qu'il avait obtenu le prix Elbakin 2010 du meilleur roman jeunesse traduit. Tout cela allié à un résumé ma foi alléchant, il ne m'en a pas fallu plus pour craquer ! Et il faut dire que je n'ai pas été déçu de mon achat, loin de là.

Lombres nous raconte l'histoire de Zanna et Deeba, deux jeunes filles tout ce qu'il y a de plus ordinaires, qui mènent une vie semblable à celle des autres enfants de leur âge. Jusqu'au jour où d'étranges phénomènes viennent perturber la paisible existence londonienne de nos deux amies. Des phénomènes qui semblent inexplicablement liés à Zanna... Très vite, elles trouvent le chemin de Lombres, qui s'avère être la face cachée de Londres ; une ville au charme délicieusement mystérieux, peuplée d'êtres tous plus étranges les uns que les autres ; une ville mêlant déchets vivants, fantômes, bus volants et parapluies cassés ; une ville qu'un sombre nuage nommé Smog menace de détruire... Mais la « transville » peut bien sûr compter sur Zanna, qui n'est autre que la « Shwazzy » (comprenez choisie), la seule à pouvoir sauver les Lombressiens de l'appétit féroce du Smog. Elle est l'enfant de la prophétie ! Prophétie que le grimoire sacré a prédit depuis des siècles !

Les 100 premières pages nous dressent donc une intrigue somme toute banale : une ville et ses habitants menacés par un méchant tout puissant que seule l'enfant de l'antique prophétie (blonde de surcroît !) est à même de sauver. Il y a franchement de quoi grincer des dents... Et pourtant, China réussit à nous épater, nous laissant ainsi entrevoir la grandeur de son talent ! Une fois passé les 100 premières pages, alors que tout est fait pour nous faire croire que le livre tournera principalement autour du personnage de Zanna, revirement de situation, on n'en entend plus parler de tout le livre, et c'est sa pote Deeba qui va finalement sauver la transville de la sombre menace du Smog. C'est totalement inattendu, car tout est véritablement fait dans la narration et dans l'histoire pour nous faire croire que Zanna sera au cœur de l'intrigue, en tant qu'élue (Shwazzy) de la prophétie. Cette prophétie se révèle par ailleurs être totalement erronée ; le Grimoire sacré ne prédisant rien de bon, il se voit reléguer au rang de simple livre doué de parole, tout juste bon à « donner des recettes de cake ». J'ai adoré la manière dont l'auteur tordait le cou à ces vieux clichés de la fantasy, et ça m'a fait beaucoup rire !

Autre point fort de ce roman : l'originalité excentrique de la transville de Lombres. On ne peut que rester émerveillé devant l'ingéniosité que China déploie pour créer un monde à la fois totalement farfelu et alambiqué, qui n'est pas sans rappelé les univers de Miyazaki (Le Voyage de Chihiro, Le Château Ambulant, etc.). Tout au long du livre, l'auteur détourne la fonction première d'objets ordinaires et joue avec le vocabulaire pour créer des concepts totalement innovants, à l'image des Poubanzaï ou des Barrapluies (Je salue d'ailleurs le traducteur pour son remarquable travail). C'est un véritable délice, et on prend beaucoup de plaisir à tourner les pages pour découvrir les surprises que l'auteur nous réserve. D'autant que l'histoire est ponctuée d'illustrations de China, qui nous permettent de mieux intégrer les descriptions de ses créations !

Du côté des points négatifs, il me semble important de souligner la platitude des personnages. Ils sont extrêmement stéréotypés (Ex : Deeba la brune / Zanna la blonde), voir même lisses et sans consistance. Certaines répliques m'ont également paru peu naturelles dans la bouche des protagonistes. De manière générale, je trouve que les relations entre les personnages se nouent trop rapidement. Sans doute est-ce dû à l'action qu'on sent un peu précipitée dans le début du roman (il y a un mieux de ce côté-là à partir du milieu). On pourra également souligner le style de l'auteur, très axé jeunesse, même si ça ne dérange pas tant que ça à la lecture.

Au final, Lombres m'aura (presque) totalement séduit ! Son charme délicieusement étrange, ses excentricités multiples, sans oublier bien sûr la manière dont l'auteur joue avec le vocabulaire et tord le cou aux grands clichés de la fantasy font que je recommande cette lecture à tous ! Mon seul regret sera que l'auteur n'ait pas plus développé le caractère de ses personnages, qui sonnent malheureusement bien creux dans cet univers originale et foisonnant.

5 / 5