LA MORT DU ROI TSONGOR de Laurent Gaudé

Je ne saurais que dire suite à la lecture de ce livre. « Je comprend ta peur, Sango, elle est juste. Il n’y a pas de victoire ». Tous les mots résonnent encore à mes oreilles, comme si je sortais du combat, du récit, du conte, de ce mélange entre une guerre Troyenne et Africaine. Comme si j’avais lu à haute voix, voyagé, traversé les époques, et vu l’horreur de la guerre, la honte, le regret, le pouvoir et l’honneur.

Je ne saurais décrire exactement la morale de l’histoire mais je dirais que ce livre confirme ce qui est bien connu : la guerre ne mène à rien, elle est absurde et inutile, et il n’y a ni vainqueur, ni vengeance, ni aucune raison valable de la mener. La preuve est telle : l’absurdité du combat est vécue au travers des personnages qui continuent leur combat même lorsque Samilia est partie. La femme pour laquelle tous se battent (contre le souhait même du mort Tsongor, qui était qu’elle se marie à un troisième homme) disparait et le combat continue, l’homme dans son orgueil ne peut se résoudre à stopper le massacre. Tout comme on combat La Peste dans le livre de Camus, ici, on combat pour le sang et la vengeance, jusqu’à la fin. Certains partent car leurs familles, leur pays les attendent, d’autre restent pour se venger jusqu’au bout. Le ridicule du combat est poussé à l’extrême. Et les deux principaux amants ne s’entre-tueront même pas, c’est en effet l’allié de Kouame qui tue celui-ci et son ennemi, le combat est un agrégat de coups inutilement portés qui ne mènent alors à rien.

Dans le livre, toute valeur disparait, toute l’horreur apparaît, Laurent Gaudé décrit à la perfection l’horreur de la guerre, tout comme le fit Agrippa d’Aubigné dans Les tragiques. Les descriptions complètes mettent le sang à la bouche et la tristesse poétique mêle les pages.
Poétique, telle est d’ailleurs l’écriture de l’auteur. Il est très agréable de le lire, et les mots s’enchainent les uns à la suite des autres, les images se forment devant nos yeux sans efforts, le livre se lit d’une traite, on est comme happé par la force du livre. On apprend qu’il n’y a pas de vie sans honte, mais que la honte de la guerre est la pire, celle qui règne partout sur la famille Tsongor. A la manière d’une tragédie grecque, la famille vouée à la fatalité meurt et se disperse, et le pèlerinage mortuaire que mène le plus jeune fils de Tsongor pour dresser ses tombeaux n’échappe pas à la malédiction. Il connait la honte également, en tentant de révéler qui est réellement son père. Le sang salit également ses mains comme il a Sali celles de sa famille.

Lors de ma lecture, j’ai ressenti toutes sortes d’émotions allant de l’horreur à la tristesse, sans passer par le soulagement car, telle est la tragédie dont on connaît toujours la fin : on sait que la paix ne règnera pas. Les erreurs de l’homme empreignent le papier mais je m’aperçois que la femme porte parfois les bons mots. Lorsque la mère de Kouame se présente avec ses amazones et sauve ainsi Massaba d’une fin proche, elle offre à son fils la fin de la guerre, en proposant de quitter la ville, de la laisser vide et désolée à l’autre camp, lequel subira la honte. Lorsque Samilia s’offre à Kouame, elle accomplit son destin de femme, sa parole est donnée à Sango mais son corps appartient à Kouame. Ainsi le dilemme est bien présent mais les femmes du livre sont symbole de paix, même si elles déclenchent la guerre sur leur passage.