LE DECHRONOLOGUE de Stéphane Beauverger

Mon avis : Quelle lecture ! J'en ressors totalement... perdue. Je ne sais pas du tout comment construire cette critique, pour la simple et bonne raison que je ne sais pas quoi penser de ce livre. Tâchons de commencer par des choses bien terre à terre.

Le premier ressenti dont je vous ferais part à propos du Déchonologue est certainement ma surprise quant au style de l'auteur. Quel exercice ! De la haute voltige stylistique, à n'en pas douter. Le talent de Stéphane Beauverger pour s'adapter à son sujet est absolument incroyable. Une performance à la hauteur de la fameuse joute oratoire entre Caracole et Sélème dans La Horde du Contrevent de Alain Damasio. C'est vraiment... Impressionnant.

Les personnages ensuite. Quelle foule ! Et haute en couleurs, en plus de cela. Le capitaine Villon, tout d'abord. L'homme m'a beaucoup impressionnée, de par sa force de caractère. Les épreuves qu'il traverse sont toutes absolument terribles, et pourtant, il reste toujours debout. Grâce à son équipage, cela va sans dire. Mais tout de même ! Et comme il maîtrise son monde avec sa poigne de fer et son effronterie sans limites ! On se demande jusqu'où il va aller. Loin, certainement, tant qu'il lui reste en poche une ou deux bouteilles de tafia. On pourrait en effet le décrire ainsi : ivrogne, impudent, têtu, mais amoureux des mers et fier capitaine, quoi qu'il arrive.

Plusieurs personnages annexes m'ont également marquée, tels que Féfé de Dieppe, l'étrange bougre accro aux maravillas qui finira par devenir l'ami de Villon, Sévère, la femme Targui ayant rejoint l'équipage de notre cher capitaine, ainsi que le gouverneur (totalement exécrable) Le Vasseur. Tous sont admirablement décris en profondeur, et leurs relations avec le personnage principal sont très bien traitées : on ne peut en perdre une miette, au risque de confondre tel capitaine avec tel autre, tel marin avec tel autre.

L'histoire ensuite, débordante d'imagination. Le concept de départ m'a beaucoup plu : imaginez-vous un monde où présent, passé et futur ne font plus qu'un, projetant les uns dans les autres les reliefs de leur temps. Et voici qu'au 17ème siècle, chaque bourse bien garnie peut s'offrir l'électricité, une radio portative ou des CD d'une époque bien moderne. Que chaque dirigeant illustre peut s'équiper en microphone indétéctable, afin de prévenir de tout complot visant à le renverser. J'adore ! Pour le coup, cela me ferait presque penser au célèbre de livre de R. Zelazny, l'enfant de nulle part.

Venons-en désormais au point qui a suscité mon si grand désarroi. Je vous l'ai dit, l'exercice stylistique est absolument prodigieux, tout en rendant le texte assez complexe à appréhender. Mais ce ne serait rien, si l'auteur n'avait pas jugé malin de prendre ses chapitres et de les mélanger de façon aléatoire (ou presque). On passe ainsi de 1653 à 1641, faisant à chaque chapitre un bond dans le temps ou un retour en arrière. Alors, je comprends bien qu'une telle logique est totalement conforme au sujet dont traite l'ouvrage : le temps devenu totalement fou, auquel on ne peut absolument plus se fier. Mais ! Quel désordre, quelle complexité ! Combien de fois n'ai-je pas été obligée de retourner en arrière de plusieurs chapitres, pour me remettre dans l'action ! Bien sûr, cette disposition n'est pas totalement sans logique : chaque évènement décrit dans un chapitre trouve sa source dans un chapitre prenant place à une date antérieure, mais étant plus après dans le livre. Pour ajouter du piquant à la chose, les chapitres sont numérotés chronologiquement. Il est donc difficile, mais possible, de suivre le véritable cheminement de l'histoire. Malheureusement (ou heureusement) pour moi, je ne m'en suis aperçue que trop tard pour adopter ce mode de lecture.

Finalement, je pense que la meilleure manière d'aborder ce livre est de s'aménager des plages de lecture relativement étendues : le lire en une ou deux fois serait idéal, le lecteur ne perdant donc pas le fil. Ma lecture fut au début très hachée, de par cette incompréhension, et je le regrette : si j'avais persévéré, battu à plat mes appréhensions et cessé de me déconcentrer toutes les cinq minutes, j'aurais pu apprécier ce livre à sa juste valeur.

Malgré cela, j'ai passé un très bon moment en compagnie du capitaine Villon, pour être emportée par ses aventures en deuxième moitié d'ouvrage. Ce fut une très belle découverte, donc, que je me ferais une joie de renouveler en relisant le Déchronologue, pour mieux l'apprécier. Amateurs de SF, flibustiers, marauds en tout genre et marins en quête d'aventures, ce livre est pour vous !